samedi 21 avril 2012

Lettre de Pierre Delion, aux amis de la pédopsychiatrie d'aujourdhui


Lettre aux amis de la pédopsychiatrie d'aujourdhui 

 Pierre Delion, Lille le 20 Mars 2012, jour du printemps


 Chers amis, 
Nous voilà maintenant dans une situation extrêmement préoccupante au sujet de l'autisme et des recommandations qui viennent de sortir de l'HAS, puisque les soins seront prescrits, pour certains d'entre eux par des forces extérieures à notre corps professionnel. Je ne dis pas que seuls les pédopsychiatres doivent indiquer des soins, puisque l'expérience de la psychothérapie institutionnelle nous a justement appris à partager nos décisions avec l'ensemble de nos équipes, à prendre en compte les avis de nos partenaires, et le tout, sous l'égide bienveillante des parents, quand cela est possible. 


Mais là, nous faisons une nouvelle expérience, celle d'avoir à assumer des décisions venues de l'extérieur de notre champ de compétences, et qui, selon notre expérience antérieure, semblent peu adaptées, sinon inadaptées aux problèmes rencontrés. L'exemple du packing vient immédiatement à l'esprit et va être dans les semaines qui viennent un réel problème lorsqu'il va nous falloir répondre aux parents qui veulent à tout prix continuer ce soin pour leur enfant, alors que, hors de la recherche lilloise, la HAS, instance opposable en droit, s'y oppose formellement, même à titre exceptionnel. Ces parents nous rappellent d'ailleurs qu'ils nont pas été consultés dans ces décisions, alors qu'ils étaient les premiers concernés par leurs enfants bénéficiant du packing. Voilà un exemple à partir duquel nous allons devoir réfléchir pour trouver des aménagements, sans nous mettre en danger puisque vous savez que le président de "vaincre l'autisme" a prévenu qu'il intenterait un procès en justice à toute personne dérogeant à ces recommandations. On peut lui faire confiance sur sa détermination à ce sujet. 


Mais voyons plus globalement comment va se passer la suite. J'ai peur que, concernant les autres soins relationnels, la même procédure soit mise en place assez rapidement : la pataugeoire, l'équithérapie, les ateliers conte et autres activités thérapeutiques des hôpitaux de jour de nos secteurs de pédopsychiatrie. Comment va-t-on procéder ? Allons nous laisser éradiquer ces outils thérapeutiques sur lesquels nous instituions nos soins avec les enfants ? Comment dès lors mettre davantage les parents des enfants que nous soignons dans le coup de ces nouvelles modalités de soins imposées ? Jusqu'alors j'avais toujours eu beaucoup de réticences à le faire. Pour le packing, j'avais vraiment résisté à l'idée de demander aux parents de prendre partie pour défendre le soin de leur enfant, pensant que nos organisations professionnelles le feraient sans réticences. 
L'histoire récente nous montre qu'il n'en est rien et que nous allons devoir changer de stratégie à ce propos. Il va nous falloir permettre aux parents engagés avec nous dans les soins de leur enfant soit de fonder de nouvelles associations, soit de s'engager dans les associations existantes pour y apporter d'autres points de vue demeurés en retrait jusqu'alors. En effet, lorsque je discute avec des parents, engagés que nous sommes avec eux dans une confiance réciproque nécessaire à tout soin de leur enfant, je suis frappé de voir comment ces parents jugent les réactions des représentants d'associations de parents d'enfants autistes avec étonnement et sagesse.
Avec étonnement, car il leur paraît souvent curieux que ces parents puissent avoir une telle haine vis à vis des pédopsychiatres et de leurs équipes, sauf à considérer qu'il s'agit d'expériences traumatiques anciennes qui tournent en boucle sur les forum et dans les discussions des détracteurs. L'hypothèse la plus vraisemblable est que ces parents ne sont plus en lien avec nos équipes à la suite de désaccords sans doute compréhensibles, mais généralisés à outrance.
Avec sagesse, et l'exemple le plus frappant qu'ils prennent, là encore, est celui du packing, car ces parents pensent que les principaux détracteurs ne savent visiblement pas de quoi ils parlent, si j'en juge aux films d'horreur que "vaincre l'autisme" monte et promeut pour démontrer l'inanité de cette technique, comme si leur avis de témoins ne suffisait pas à convaincre. Dailleurs, je suis très étonné que le président de "vaincre l'autisme", si prompt à faire des procès, n'ait pas encore trouvé un seul cas de parents prêts à le suivre pour les reproches quil fait au packing. Cela devrait attirer l'attention d'un pouvoir scientifique, l'HAS, sur l'écart entre ce qui est proféré avec une extrême violence et la réalité de ce qui est dénoncé. Mais cela devrait surtout attirer l'attention des pouvoirs publics et des politiques qui, loin de tempérer ces excès, s'en servent lâchement pour ne pas répondre aux besoins énormes dont il est question dans cette guerre de l'autisme. Pour avancer sur ces problèmes importants, il faut une nouvelle approche qui prenne en considération les avis de tous les parents et pas seulement ceux qui sont contre. Il nous reste à trouver les moyens de déclencher un tel débat.


Mais plus avant, c'est l'ensemble de la pédopsychiatrie qui est menacée, car déjà certains s'élèvent contre le fait que les pédopsychiatres aient quoi que ce soit à dire sur les "dys", sur les "thada", et bientôt sur l'ensemble de notre champ pédopsychiatrique. 
Soit la neurologie, discipline médicale plus noble, va rafler la mise, soit le médicosocial la récupèrera. On peut penser que pour des argument techniques et financiers, ce sera la deuxième solution que sera retenue. En effet, les neuropédiatres ont déjà beaucoup de travail avec leur spécialité et je les vois mal se charger de la prise en charge des TED/TSA, des "dys", et des autres pathologies pédopsychiatriques, d'une autre manière que ce que nous faisons actuellement, c'est-à-dire, dan> les bons cas, en coopération. Par contre, le médicosocial pour les cas les plus graves sera mis à contribution, mais sans les moyens nécessaires à une bonne qualité d'accueil de ces enfants, et surtout sans que les aspects médicaux, que la pédopsychiatrie prenait en compte, le soient réellement.
 Un grand absent du débat, mais cela ne durera pas, l'éducation nationale. En effet, les parents, « vent debout » sur la loi d'intégration scolaire, réclament un maintien de leur enfant dans l'école avec les autres enfants sans problèmes particuliers. Cest aussi la position que les pédopsychiatres de secteur ont toujours défendu, on l'oublie trop souvent, dans le cadre d'une politique de pédopsychiatrie dans la cité. Si les moyens prévus dans la loi en question étaient disponibles pour ce faire, cela serait une expérience à tenter. Mais les derniers évènements politiques en faveur du handicap à l'école ont montré, par la suppression de près de 80 000 postes y compris des Rased, que les promesses n'ont pas été tenues. Les instituteurs, même motivés, peuvent-ils accueillir dans leurs classes autant d'enfants qu'il est annoncé ? Le chiffre mirobolant de 650 000 enfants autistes en France, résultat d'une OPA portant sur l'ensemble des enfants les plus gravement atteints dans leur développement, va trouver là ses limites en termes d'effets d'annonce ! Les enseignants ne sont pas prêts dans les conditions actuelles à faire cet effort. Les parents vont devoir trouver des solutions dans le médicosocial pour ceux qui n'auront pas les moyens de faire les frais eux-mêmes de ces suppléments d'éducation non républicains. Et le médicosocial est souvent content de trouver auprès des équipes de pédopsychiatrie le secours dont il a naturellement besoin dans le cadre d'une politique de secteur digne de ce nom ! 
Seulement voilà !, à force de> tirer sur le pédopsychiatre, de le disqualifier, de le vilipender et de lui faire porter la responsabilité que le manque cruel de moyens porte en réalité, les équipes de pédopsychiatrie vont se déliter, leurs forces vont se répartir autrement et, au vu de la réputation faite par le gouvernement actuel à cette spécialité médicale et nombre de médias, les jeunes praticiens vont se poser la question à deux fois avant de décider de s'y engager. Le débat est devenu tellement fou dans la plupart des médias que la dissuasion vis-à-vis de la pédopsychiatrie va s'exercer sans juste discrimination et conduire à un nouveau manque de moyens humains, accentué par une politique imbécile de santé publique. 


Ne nous y trompons pas, ce qui arrive avec l'autisme est la suite logique de ce que nous avons déjà connu avec le combat de "pas de zéro de conduite" lorsque le gouvernement voulait imposer une vision politique de la prévention prédictive, sans rapport avec les petits d'hommes, mais davantage inspirée de celle des rats de laboratoires. La réaction d'alors avait été suffisamment forte pour que nous puissions constituer un rapport de force de nature à empêcher l'imposition de mauvaises décisions par un pouvoir ivre de scientisme. Nous vivons aujourdhui une contre-offensive de ce même pouvoir devenu cynique et démagogue. Une seule solution face à ce qui arrive aujourdhui, tous debout contre ces manières de gouverner la santé qui font appel à des parodies de sciences et à des alliances avec les intégrismes de tous bords. Nous devons redonner à la pédopsychiatrie la place quelle a, notamment auprès des enfants qui présentent les pathologies les plus graves, pour que personne ne soit laissé au bord du chemin. 
Nous devons faire passer à nos représentants professionnels le message qu'il n'est plus possible de céder le moindre pouce de terrain du bon sens clinique à l'outrance actuelle et qu'il faut en venir à un véritable débat technique entre professionnels, relayés par des rencontres avec les parents des enfants concernés et leurs familles, et soutenus par des moyens appropriés proposés par les politiques dont c'est la mission. 


Nous vivons actuellement une confusion des rôles qui risque de fragiliser les mécanismes de la démocratie en demandant aux parents d'être des chercheurs et des avocats, aux chercheurs de donner un avis éclairé sur des domaines qui ne sont pas de leurs compétences, aux politiques de dire ce qui est techniquement utile pour les soins et aux professionnels de devenir les victimes de la vindicte populaire. Nous ne pouvons pas continuer d'entretenir ces fantasmes mortifères, ni leurs effets inévitables, car lorsque le soufflet retombera, qui sera en mesure de prendre en charge les enfants en grande souffrance et leurs parents désemparés ?
 Les politiques actuels auront, espérons-le, quitté le pouvoir, les représentants d'associations seront aux prises avec des promesses de guérisons non tenues auprès de leurs adhérents, et les professionnels seront tellement disqualifiés qu'ils auront le plus grand mal à inspirer à nouveau confiance aux parents pour pratiquer humainement selon une politique qui antérieurement, avait mis plusieurs générations à se concrétiser.
 Il est grand temps d'en revenir à la raison, non pas celle d'une science érigée en pourvoyeuse de miracles, mais celle d'un juste milieu, articulant sans cesse les dernières découvertes de la science fondamentale avec ceux des sciences humaines, dans une éthique du lien et de l'humain.

Lettre ouverte de Moïse Assouline à propos des recommandations pour les soins des personnes autistes.


Lettre Ouverte au président de la Haute Autorité de Santé
« Une Recommandation utile aux parcours des autistes, sous réserve qu'on ne confonde pas l'accompagnement des personnes avec des procédures »
par Moïse Assouline1

Je vous remercie de demander leur avis aux membres du comité de lecture sur la rédaction finale de la Recommandation de Bonnes Pratiques relative à l'autisme. J'approuve ce texte, avec certaines réserves.
Voici le contexte de mes observations.
Je suis psychiatre, praticien à temps plein depuis 30 ans et j'ai accompagné, avec plusieurs équipes pluri-disciplinaires, des centaines d'adolescents autistes et leurs familles, pour beaucoup pendant plus de dix ans. J'exerce au Centre Françoise Grémy, Paris, un complexe qui comporte : l'Hopital de Jour Santos-Dumont pour vingt adolescents et jeunes adultes (le premier en France, ouvert en 1963) ; une équipe de liaison avec le département de génétique de Necker (deux cent bénéficiaires depuis douze ans) ; une unité d'évaluation protocolisée (tests psychologiques et bilans sensori-moteurs) diagnostique et fonctionnelle pour adultes (depuis 2005) ; une plate- forme pour l' insertion - relais à l' âge adulte (depuis 1995) et une des trois UMI d'Ile de France, unités mobiles de semi-urgence créées en 2010, dédiées aux Situations Complexes en ATED (100 cas par an pour Paris et les Hauts de Seine).
Je coordonne le pôle autisme de l' association l'Elan retrouvé, qui élargit le plateau technique recommandé. Il dispose en banlieue de 80 places d' hospitalisation de jour pour enfants ou adolescents (répartis dans trois unités)2, la moitié étant scolarisée sur site ou en milieu ordinaire. Il est associé à un réseau culturel d'associations créées par nos équipes : Fenêtre sur la Ville, qui édite le journal "Le Papotin" ; la Compagnie de Théatre et Voix Turbulences - laquelle a créé à son tour un nouveau complexe, médico-social (ESAT et SAS) pour adultes autistes et artistes ; et Zig Zag Color, qui fédère les ateliers d'art plastique de plusieurs centres. Ce pôle est lié à des organismes d'animation pour les loisirs et les vacances (week end, été). Il dispose d'ateliers et d'unités de formation qui accompagnent la sexualité des jeunes. Ajoutons que notre plate- forme d'accès à une médecine exploratoire et aux soins somatiques, sans doute la plus développée d'Ile de France depuis 10 ans, s'enrichit cette année d'une coopération avec le Centre anti-douleur de l' Hopital Trousseau.
Ce pôle constitue un réseau avec une douzaine d' établissements medico-sociaux (IME, FAM ou SESSAD) de Paris et Hauts de Seine. Il a anticipé et, dans certains domaines, il va au delà des Recommandations qui sont présentées. A noter que ce plateau technique n'a jamais bénéficié de crédits des plans autisme. Il s'agit du choix éthique des gestionnaires (d'abord l' Association Sesame Autisme, de 1963  à 2007, ensuite l'association l' Elan retrouvé), soutenu par l' Etat, de consacrer des crédits de pédo-psychiatrie à l' accompagnement spécifique de l'autisme.
Cette organisation n’a pas manqué depuis 20 ans d’observer les changements survenus dans l’environnement technique, administratif, associatif, familial, et politique du pays, et d'y participer, ce qui se décline ainsi : Commission Gillibert en 1991 (première instance gouvernementale sur l’autisme) ; Groupe de travail de la DGAS en 1994 (un des groupes qui a préparé la Circulaire Veil de 1995) ; celui de l’ ARHIF sur les Hôpitaux de Jour (1997-1998) ; celui de la CRAMIF sur l’ articulation du sanitaire et du médico-social (1999 - 2002) ; le groupe expert pour l’élaboration du SROS 3 (le Schéma d’Organisation Sanitaire, chapitre « préconisations pour l’autisme", 2004 - 2005) ; celui de l’étude épidémiologique de Cohorte des personnes ATED en Ile de France entre 2001 et 2007 (je suis corédacteur du rapport terminal, partie qualitative). Je participe depuis leur création aux instances suivantes : le CTRA d’Ile de France (depuis 1996), le Conseil d’administration (PEPA) du CRAIF (Centre de Ressources Autisme) et son conseil scientifique (depuis 2000) et au Comité ministériel CPRA ou « Comité National Autisme » (depuis 2007).
Ayant été nommé dans cette instance "in tuitu personae", c'est à titre personnel que je m' exprime ici.

Un grand progrès : le sujet autiste passe avant l’entente entre les institutions.
La RECOMMANDATION est une avancée réelle. Bien qu'incomplète (et en partie fausse) cette synthèse sur le parcours longitudinal souhaité sera un document de référence pour soutenir le parcours singulier de chaque personne en tant qu'un droit. C'est un point d'appui nouveau pour s'opposer aux errances (retards dans les diagnostics, retard pour débuter les prises en charge, évictions institutionnelles pour cause d'âge, accompagnements partiels et amputés d'éléments clefs du plateau technique utile, etc.). Après d'autres textes récents, imparfaits mais nécessaires (les Recommandations de Pratiques Professionnelles pour le diagnostic de 2005, et l'établissement du "socle de connaissances"), la RECOMMANDATION marque une nouvelle étape dans la réhabilitation du sujet autiste dans la société.
En effet, la Circulaire interministérielle de 1995 (la "Circulaire Veil"), qui a établi l'autisme comme priorité de santé publique et ouvert une période historique bénéfique, avait été suivie de "plans autisme" tous les deux ans assortis de financements. Mais elle avait échoué dans son objectif de créer en cinq ans des réseaux gradués et coordonnés articulant les soutiens soignants, médico-sociaux (financiers et institutionnels) et scolaires, dans tout le pays. A partir de 2000, la création de Centres de Ressource Autisme région par région a relancé ce mouvement. Mais la coordination reste entravée par le poids des cultures de services, les cloisonnements de compétence professionnelle et des rivalités de bureaux (des administrations et des ministères). Même si la Loi de 2005 oblige maintenant de manière heureuse l'Education Nationale à accueillir les handicapés, il y a toujours besoin d'une coordination fluide pour que cette révolution dans la vie sociale des autistes ne s'enlise pas.
Or, la RECOMMANDATION opère un renversement. L'accord entre institutions perd de sa suprématie, laquelle est transférée au bénéfice du sujet. Ce qui va structurer les discussions entre services ne sera plus la recherche d'une entente préalable d'institutions (dans ce cas, les freins restent majeurs) mais le droit de la personne autiste à un parcours coordonné. Ce droit va obliger les services à répartir leurs prestations pour harmoniser le plateau technique utile. Autrement dit, la complémentarité des services ne sera plus octroyée à la personne sous la condition (aléatoire) que les prestataires s'entendent, elle devient une contrainte et un principe organisateur pour chacun des services (médicaux, psychiatriques, médico-sociaux, scolaires, sociaux, etc.). C'est le point fort de la RECOMMANDATION et la raison de mon approbation.
  
Pour un droit au retour après l’exclusion d’une institution.
Ma première réserve est que la RECOMMANDATION n'anticipe pas un des risques connus dans le parcours social et/ou institutionnel. Il faut pour les personnes autistes exclues en période de crise de leur institution ou de leur école "un droit au retour", dans l'après crise, une fois l'apaisement obtenu.
La RECOMMANDATION mentionne de porter attention aux "comportements-problèmes". Tels que décrits, il s'agit des troubles du comportement que toute équipe spécialisée formée en autisme est en mesure d'apaiser in situ, sans aide extérieure et sans le recours à l'exclusion. Mais la RECOMMANDATION ne mentionne pas le statut de "Situations Complexes en Autisme et TED" qui se situent un cran au-dessus. Elles dépassent momentanément les capacités des centres spécialisés en autisme, même les plus prestigieux, et elles génèrent l'éviction des enfants et de leur famille de tout parcours coordonné. Ces situations sont variées. Par exemple : une comorbidité avec des troubles somatiques instables (diabète, épilepsie résistante au traitement, séropositivité, ...) ; ou avec des troubles psychiatriques sévères (syndromes persécutifs, troubles bipolaires,...) ; conduites auto-offensives (jusqu' à mille coups par jour,...) ; dangerosité pour autrui (risque de mort d'un membre de la fratrie...) ; syndromes d'Asperger isolés au domicile, suicidaires ou agressifs ; marasmes psycho-sociaux, etc. Après 15 ans de recherche-action, l'Etat a créé des dispositifs dédiés, pluri-disciplinaires, aux ressources humaines adaptées (celui d'Ile de France notamment). Que la personne dispose d'un "droit au retour" serait l'aboutissement naturel de leur action réparatrice, qui s'appuie sur un investissement considérable. (A noter qu'il s'agit de moyens issus de la psychiatrie, non des crédits pour l'autisme, ce dont il faut encore remercier l'Etat, la Santé, et l'ARS d’Ile de France). Concernant ces exclusions, les rapports d' activité de nos équipes mobiles peuvent en fournir les statistiques récentes. Sont concernés tous les types de centres, hôpitaux de Jour, IME, SESSAD, école ou collèges, centres comportementalistes (TEACCH ou ABA), quels que soit l’ âges des personnes (enfants, adolescents, adultes). Contrairement à ce qui est suggéré dans la RECOMMANDATION, le comportementalisme rencontre les mêmes difficultés que les autres approches. Un IME expérimental ABA a pu appeler les pompiers pour exclure vers son domicile un enfant de huit ans. Réquistionné, il a demandé l'aide de la pédopsychiatrie pour pouvoir le réintegrer. (Sans « droit au retour », l'enfant est rayé des effectifs et oublié). Et il y a des adultes entre 20 et 30 ans qui, bien que n'ayant connu que des prises en charge comportementales depuis l'enfance, sont exclus définitivement de leur propre centre.
La RECOMMANDATION n'a pas mentionné les Situations Complexes car elle ne les a sans doute pas discriminé du groupe des "comportements - problèmes" (qu'elle évoque à plusieurs reprises). Mais pour les deux cas, j'émets la plus extrême réserve sur la mention, dans l'argumentaire scientifique, qui a valeur de recommandation explicite, de punitions comme méthodes comportementales dont la validité serait "solide" et "robuste" (malgré le nombre infimes de cas étudiés, l'absence de groupes témoins et d'observation de longue durée cf. pages 220 à 230). Cette omission de la RECOMMANDATION quant aux Situations Complexes n'est pas anodine et les services de l'Etat (comme l' HAS) et les associations gestionnaires seraient avisés de joindre les deux bouts d'un raisonnement. D'un côté l'Etat donne un statut à ces sujets après qu'ils furent abandonnés pendant des décennies dans le no man's land de mouroirs lents (psychiatriques ou médico-sociaux) ou de faits divers familiaux anonymes et tragiques. Mais de l'autre, avec ce statut, il leur donne, ainsi qu'à leur familles, la possibilité nouvelle d'être à son tour, ainsi que les institutions, assignés devant les tribunaux quand les carences des services contribuent à leur malheur. Nos Unités Mobiles peuvent calmer ces familles quand des
alternatives réussies sont mises en oeuvre et ainsi retarder (mais non éliminer) le risque du retour de la litanie entendue pour le sang contaminé et la canicule : "nous sommes responsables mais pas coupables", "nous ne savions pas", "les études scientifiques nous avaient donné des assurances", etc.

Le soutien à la scolarité est fait par des services pluridisciplinaires
Une réserve concerne la seule mention des SESSAD comme soutien à la scolarisation des jeunes autistes. Les SESSAD sont des nouveaux dispositifs (400 places environ dans le dernier plan). Mais depuis toujours, une proportion importante des Hopitaux de Jour et des IME font cet accompagnement en classe ordinaire pour de bien plus nombreux enfants (et bien avant la Loi de 2005). En Ile de France, l'enquête épidémiologique "SUIVI D'UNE COHORTE D'ENFANTS PORTEURS DE TROUBLES AUTISTIQUES ET APPARENTÉS EN ILE DE FRANCE DE 2002 A 2007" le fait ressortir nettement, surtout pour les Hôpitaux de Jour (ce qui était inattendu compte tenu de ce qu'en disaient déjà à l'époque certaines associations). La RECOMMANDATION cite des enquêtes disponibles, déplore leur faible nombre, mais elle a éliminé cette enquête de la liste (alors qu'elle est citée dans l'Argumentaire scientifique de l' HAS...). Ces éléments sur les parcours devraient être rétablis.

L’autisme devrait-il être est-il exclu de la sexualité ou seulement de la psychanalyse ?
Une réserve concerne la pauvreté de la Recommandation relative à la prise en compte de la sexualité des adolescents et des personnes autistes en général. La timidité de la RECOMMANDATION est stupéfiante car les rédacteurs ne peuvent ignorer que l'aggravation de certains troubles du comportement a un rapport avec la sexualité émergente de ces personnes vulnérables, et que toutes les équipes et les familles sont en demande d'aide, de formation et d'innovations.
Notre plate-forme d'ateliers sur la sexualité a débuté il y a longtemps par la mise en place de l'éducation sexuelle standardisée des écoles (celle qui est souhaitée par la RECOMMANDATION) puis elle s'est étoffée à mesure, créant de nouvelles médiations, en réseau avec des associations partenaires (de prévention des abus sexuels, d'artistes, etc.). Nous avons bénéficié de l'aide de psychanalystes pour conduire ce travail (soutenu par la Fondation de France). Nous avons organisé en 2011 des formations pour tout notre réseau, réunissant des psychanalystes (Julia Kristeva, Sylvie Lapuyade, Michèle Rouyer), des psychologues (Isabelle Hénault du Québec, Anne Ricotta de Belgique), pédagogues (Aghte Diserens de Suisse) plutôt comportementalistes, et des parents, tous réunis par une attention humaniste à la composante ordinaire de la sexualité chez les personnes autistes
Cette indigence de la RECOMMANDATION n'est sans doute pas sans rapport avec la disqualification que l'HAS a voulu exprimer pour la psychanalyse "comme prise en charge de l'autisme". Si la sexualité des personnes est entravée et compliquée par les conduites et les représentations autistiques, et de ce fait génératrice de troubles sévères du comportement, sa composante "ordinaire" doit être soutenue. Or la psychanalyse fournit de manière commune et consensuelle sous toutes les latitudes les outils conceptuels pour aider toute personne et toutes équipes à aborder ces questions. Elle est bien utile à une meilleure intégration sociale des personnes autistes sur ce plan, sous réserve qu'ils le souhaitent s'ils ne sont pas sous tutelle, ou, dans ce dernier cas, que leurs parents en soient d' accord. A vrai dire, nos formulaires de consentement pour nos ateliers ont toujours été remplis et signés par toutes les familles.
Ma réserve porte donc sur la nécessité de compléter cette Recommandation, et pour ce faire, que l' HAS surmonte dans son comité de rédaction une alliance dogmatique et arriérée entre quelques parents intraitables et des scientifiques qui semblent avoir peur du sexe.

  Les abus psychodynamiques et et les abus comportementalistes
A ce point, j'émets une réserve sur la tonalité générale donnée par la RECOMMANDATION quant à la présentation des courants comportementalistes versus les courants psychodynamiques. La RECOMMANDATION distribue aux approches comportementalistes sans discrimination ni prudence des "grades B", présentés comme critères de validité, comme si cela avait une grande valeur scientifique ou clinique, abusant de l'ignorance du public. Elle fait une impasse historique sur le risque de dérives maltraitantes connues en France et dénoncées en leur temps (dès les années 90), y compris par les courants comportementalistes "doux" (comme le TEACCH de Schopler). Pour créditer encore cette emphase, la RECOMMANDATION a voulu diminuer la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle. C'est cette tonalité qui a excité la presse et exalté les dogmatismes, ce qui est peu digne de ce que nous attendions de la Haute Autorité de Santé.
Que la psychanalyse ne soit pas consensuelle n'est pas nouveau et c'est son honneur. Dans les années 60, ce sont ses idéaux qui ont amorcé la réhabilitation du sujet autiste dans sa famille et dans la société, qui les ont extrait de la défectologie psychiatrique et asilaire, contre l'avis des autres courants dominants de l' époque, qui en faisaient de "pauvres choses à réparer et à supporter". Plus tard, certains courants de psychanalyse vulgarisée ont imposé une fausse hiérarchie de savoir et de pouvoir sur des autistes et leurs familles. Il nous a fallu dans les années 80 et 90 assumer le droit du travail et limoger des salariés représentant ces courants. Même si cela fut violent, pour eux de le subir (et pour nous de le faire) la démocratie nous a suffit pour soutenir l'exercice légitime de l'accompagnement contre des pratiques inacceptables et nous n’avions guère besoin de chasser le diable comme des moinillons brandissant un crucifix.
La « psychothérapie institutionnelle » n'est pas consensuelle, c'est vrai aussi. C'est sans doute la raison pour laquelle il revient à nos équipes de pédopsychiatrie (inspirées en partie par ce courant) alliées à des artistes de réussir des productions culturelles parmi les plus belles et les plus durables de ces dernières décennies avec et pour des personnes autistes (elles sont citées plus haut, et elles s' exposent tous les deux ans depuis 2000 au festival du Futur Composé du Dr Gilles Roland-Manuel, dans les salles de Paris fréquentées par le public ordinaire, avec d'autres productions issues du médico-social). Ce courant œuvre pour compenser les risques iatrogènes et les effets secondaires de l'accompagnement spécialisé. C’est un paradoxe bien connu que toute assistance comporte une part de « puérilisation » du sujet aidé, Ma réserve est donc ici que, même si la RECOMMANDATION capitule devant l'aversion au mot même de "psychothérapie" de certains lobbyings, elle devrait recommander (sous un autre nom pourquoi pas), l’attention institutionnelle à réparer les effets secondaires de l’assistance aux personnes, tout ce qui accroit leur invalidité au lieu de leur autonomie, une condition essentielle de l'exercice soignant et éducatif.
L’HAS devrait aussi rééquilibrer sa valorisation sans mesure de l'ABA. Elle doit préciser quelle est la frontière entre les stimulations "de type ABA" acceptables pour des enfants petits et celles qui sont maltraitantes. Peut-elle ignorer que l'imprécision sur ce plan amènera des bénévoles et des parents à faire de la surstimulation sensorielle comme dans la « Méthode Doman - Delacato" ? La RECOMMANDATION a signalé celle-ci parmi les méthodes non recommandées : merci au regretté S. Tomkiewicz et à D. Annequin, du centre anti-douleur de Trousseau, qui l'ont évalué en 1987 dans un "rapport du Ministère des affaires sociales et de l’emploi" ! (Sans cela, aurait-elle obtenu aujourd'hui "un grade B" ?). 
De même, pour les adultes, nous observons que des abus comportementalistes génèrent de plus en plus de soi-disants TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs) qui sont générateurs d'exclusion institutionnelles et de renvoi au domicile ou en Hôpital Psychiatrique. Or, ce ne sont que d'anciennes stéréotypies autistiques qui deviennent envahissantes car elles sont activées par des formes de conditionnement inadaptées ou par la dépression. On trouve ici une justification comportementaliste pour l'éviction d’autistes, une variante (tout aussi laide) de cet argument avancé par des pseudo-psychanalystes : "la structure" psychique de l'autiste le pousserait à réclamer sa propre exclusion.

Le packing de Pierre Delion
Ma dernière réserve porte sur la méthodologie de la RECOMMANDATION qui empêche de manière dissimulée le Pr Pierre Delion de poursuivre sa recherche sur le packing avec suffisamment de cas. Je ne suis pas psychanalyste et, dans le plateau technique de notre réseau, il n'y a jamais eu de packing, faute de ressources spécialisées. En effet, le "packing" a de multiples visages, comme l’ABA, le TEACCH ou la psychanalyse se pratiquent de manière variée selon les hommes, femmes et services qui s’en réclament. Praticien de terrain, je ne suis ni chercheur ni académique. Mais la soumission de l'HAS à la cabale publique contre Pierre Delion, pionnier de la pédopsychiatrie intégrative, est pour moi une tache pour tout le corps médical.
La pratique du packing du Pr Delion, dont l'humanisme est une référence éthique pour les professionnels de ce champ, est un aspect de l'attention qu'il porte au développement sensori- moteur de l' enfant, appliqué au domaine des auto-mutilations graves, dont sans doute les auteurs du lobbying n'ont pas la représentation. La créativité scientifique, humaine et préventive de l'approche sensori-motrice, qu'il partage avec le neuro-pédiatre Roger Vasseur et le psychologue suisse André Bullinger (qui en est le concepteur unanimement apprécié dans la communauté scientifique) révolutionne l'approche clinique de l'autisme. Or l'expérience du Pr Delion avec le packing a été présenté comme la peste au moyen âge, un bestiaire où la psychanalyse serait accouplée à la torture physique. Dans les années 1980, le Pr Serge Lebovici fut traité de nazi par un groupe de parents extrémistes. Françoise Grémy, cofondatrice de Sesame Autisme et de plusieurs centres pour adolescents, mère d'un enfant autiste, dont notre centre porte le nom, s'interposa pour limiter ces dérives et l'HAS se serait honorée en en faisant autant aujourd'hui.
L'approche sensori-motrice préconise des rééducations intensives coordonnées avec les parents pendant les périodes sensibles du développement, notamment la première année, pour les enfants autistes ou à risque autistique. Sans contrôle et hors ces périodes sensibles, cette stimulation est délétère. Le packing concerne des troubles rares et exceptionnellement graves, et il exige une méthodologie rigoureuse et des moyens adaptés. Sans ces conditions, il est délétère, nous enseigne Pierre Delion. Il serait honnête que l'HAS combine une réserve générale sur le packing avec la possibilité qu'il poursuive sa recherche avec les parents désespérés qui le soutiennent.
Autrement dit : que l'HAS retire son opposition formelle au packing en indiquant seulement les conditions drastiques qui encadrent son exercice et qu’elle attende les résultats de son évaluation pour savoir s'il peut être recommandé et dans quelles indications. En procédant ainsi, il y a bien moins de risque physique pour les enfants que dans la surstimulation ABA des bébés quand elle est pratiquée par des personnes ni formées ni encadrées. Là encore, les "deux poids et deux mesures" sont inquiétants car nous attendons de l'HAS qu'elle ne soit pas au service de lobbyings sectaires mais à celui de la science (et de la conscience).

  
En résumé : une approbation assortie de six réserves
En résumé : de ma modeste place, j'approuve la RECOMMANDATION car elle donne la suprématie au soutien du sujet dans son parcours de soins, d'éducation et d'insertion au détriment des particularismes des institutions. Mes réserves portent sur les points suivants. Intégrer la notion de "Situations Complexes en ATED" et ajouter un "droit au retour' en cas d'exclusion. Enlever toute équivoque sur le bien fondé des punitions. Mentionner l'étude épidémiologique de '"Cohorte en Ile de France de 2002 à 2007" et l'aide historique et actuelle des Hôpitaux de jour à la scolarisation des autistes. Mentionner l'utilité de toutes ressources usitée par le monde ordinaire (ce qui inclut la psychanalyse) pour comprendre et aménager la sexualité des personnes handicapées. Rééquilibrer l'excessive valorisation des pratiques comportementalistes (la mise en avant de procédures considérées comme "scientifiques" et le lobbying ont pris le pas sur les considérations cliniques et éthiques). Mentionner l'importance majeure pour les soignants et les éducateurs de corriger les effets secondaires de leur propre assistance (ce qui n' est pas l'apanage de la psychothérapie institutionnelle mais doit être conservé comme principe d 'accompagnement quel que soit le nom qu'on lui donne). Permettre au Pr Pierre Delion de mener sa recherche sur le "packing" jusqu'au bout.


Conclusion : pour de prochaines Recommandations qui évalueraient la clinique de l'autisme
Pour l'autisme, la plus grande fermeté est nécessaire contre l'exclusion. C'est cela qui contraint les équipes et les administrations à affronter des pathologies et des handicaps complexes et à inventer des solutions cliniques et institutionnelles. La modestie des praticiens de proximité (cliniciens, pédagogues, éducateurs) en est une conséquence, en opposition à l'arrogance de professionnels qui supervisent de loin, quelle que soit leur approche.
La RECOMMANDATION devait évaluer les parcours et contribuer au redressement des retards et des ruptures dans le soin, l'éducation et d'insertion sociale. Elle aura cette utilité et elle va faciliter les prises en charges en réseau, nous lui en sommes gré. Mais elle a opéré un glissement sous la pression de lobbyings pour valider ou invalider des approches dont elle a confondu le rapport aux protocoles (l'intention de mesurer, la description des procédures et la mise en oeuvre des observations) avec les résultats cliniques, souvent indigents.
C'est une erreur méthodologique sérieuse que de prochains travaux devront rectifier sinon, dès les prochains mois, des accompagnements aberrants s'imagineront avoir été cautionnés à l'avance par la RECOMMANDATION. En 2005, l' HAS a donné cinq point d 'excellence à notre Centre après quatre jours de visites d'experts pour son accréditation. Je vous remets sans hésiter ces points, Mr le Président, si cette appréciation n'a pas porté sur le contenu de notre travail mais sur ses seules procédures, car ce pourrait bien être un leurre dangereux pour nos patients et leurs familles.
M.A.

1 Médecin directeur du Centre Françoise Grémy, Paris, et de l'UMI Centre (Unité Mobile pour les Situations Complexes en Autisme et TED de Paris et Hauts de Seine),  Association l’Elan Retrouvé 

2  Hôpital   de   Jour   d’Antony   (15-­25ans),   Hôpitaux   de   Jour   pour   enfants   de   Chevilly-­Larue   et   de    Fontenay-­aux-­Roses



Prochaine formation début mai : Espace et géométrie, à Paris puis à Annecy.